Se reconnaître là où l'on est [PV : Lynne]

Cullen ne protesta pas face à son commentaire, et elle lui en fut reconnaissante bien qu’elle se doutât aisément que la situation ne fut aucunement simple pour lui. Celle-ci était suffisamment inhabituelle et compliquée pour elle, mais celle de l’ex-Templier l’était davantage encore. Ses révélations précédentes lui avaient donné suffisamment d’éléments pour avoir un aperçu de la manière dont il envisageait les circonstances entourant leur étrange relation. De par ses actes, Cullen avait bafoué son propre idéal, la raison même qui l’avait poussé à devenir Templier. Quand les mages avaient eu besoin de lui, il leur avait tourné le dos. Quand il aurait dû dispenser la justice, il avait fait preuve d’autant d’indifférence que de froideur. En se détournant de ses principes, il avait non seulement contribué à la souffrance d’une caste démonisée, mais il s’était en plus trahis lui-même. Lynne ignorait l’amplitude de ses remords – mais il en avait, elle en était certaine. Elle ne pouvait qu’imaginer sa confusion face à sa propre attitude envers lui.
Sa douceur, sa prévenance … Lynne ne la dispensait pas par naïveté, mais par empathie. Si ses actes envers elle ne rachetaient pas des années de douleur, ils étaient au moins une preuve du changement qui s’était opéré dans son esprit. Elle-même n’était pas apte à être l’émissaire des mages de Kirkwall, mais elle pouvait au moins lui donner la chance qu’il méritait d’avoir au lieu de refuser la complexité de son cas.

Peut-être était-ce par culpabilité qu’il refusait davantage de soins de sa part – cela, elle ne saurait l’affirmer avec certitude. Toujours est-il que Cullen repoussa sa proposition de prendre soin de lui, tout comme son incitation à consulter un spécialiste – ce qui fit naître en elle une once de frustration. Elle ne savait rien de ses démarches précédentes, et peut-être savait-il déjà ce qui le touchait et refusait de partager cette information par pudeur. C’était cohérent, compréhensible. Mais sa manière d’en parler laissait entendre qu’il acceptait toute cette douleur, tout ce mal sans se battre. Cela ne lui ressemblait pas, du moins dans l’idée qu’elle avait de lui.

Lynne n’ajouta rien cependant, ne voulant pas faire preuve d’impolitesse en insistant davantage. La fatigue lui picotait de toute façon les yeux, l’incitant à la passivité pour l’instant. Elle abandonna, ajoutant néanmoins :

« Je comprend. Mais si jamais vous avez besoin de moi, n’hésitez pas, d’accord ? »

Ainsi se clotura le sujet.

Bientôt, à, ses côtés, Cullen poursuivit la conversation vers un autre chemin tandis qu’il fit un mouvement pour se relever, repassant ses jambes du coté de la terre ferme.  

« Au fait, si tu veux rejoindre l’Inquisition, je vais devoir te demander de remplir un formulaire en fonction de tes capacités. Vu que tu es là et que mon bureau n’est pas loin, ça ne te dérange pas de le faire maintenant ? Ça ne prend pas longtemps. »

Levant les yeux pour le regarder d’un air légèrement pensif, elle se releva finalement, attrapant son assiette d’une main.

« Je vous suis. Au moins, ce sera ça de fait. »

La jeune femme lui emboîta le pas tandis qu’il traversait la cour avant de monter le petit escalier qui les séparait des remparts. Mais à peine commençaient-ils leur périple qu’ils croisèrent la route d’une patrouille composée de deux hommes. Lynne ne parvint pas à distinguer les murmures de l’un d’entre eux, mais elle avait la nette impression qu’elle avait été le sujet de leur conversation à en juger par les regards qu’ils lui jetaient.

Lynne se crispa, une légère boule dans la gorge, n’appréciant guère cette désagréable impression d'être l'objet de furtives moqueries. Mais déjà, Cullen intervint.

« Un problème ? »

Le duo de gardes sembla d’un coup plus grave face à la posture particulièrement sévère de leur commandant. La brune crue revoir, l’espace d’un instant, le chevalier sous-capitaine qu’elle avait connu.

« N-Non Commandant, pas du tout. »

Après les avoir considérés avec froideur, Cullen reprit sa route sans plus tarder. Lynne jeta un dernier coup d’œil au duo avant de suivre le blond, laissant derrière elle les deux commères et ignorant tout de leurs futures discussions à leur égard.




Le bureau de Cullen n’était heureusement pas très loin, à seulement deux tours de celle où elle travaillait. Lynne le remercia tandis qu’il la laissait entrer la première, lui tenant la porte avant de la refermer derrière elle.

L’air glacé du dehors fut remplacé par une chaleur confortable. Lynne se frotta légèrement les mains afin de se réchauffer tandis que son regard balayait la salle. La pièce était de taille raisonnable avec un mobilier minimal. Elle remarqua principalement le bureau qui trônait devant eux où était accumulé un nombre incalculable de papiers et de dossiers rangés en piles plus ou moins désordonnées, témoignant de la charge de travail  du commandant. Il ne lui fut pas difficile de reconnaître le manteau de fourrure qui dissimulait une partie du bric à brac éparpillé sur le plan de travail.

« Je.. Fais pas attention, je n’ai pas eu le temps de ranger mon matériel en sortant. »

« Il n’y a pas de mal. » lui assura t'elle, s’avançant légèrement dans la pièce pendant que son hôte contournait son bureau.

Après avoir posé son plateau, celui-ci se dirigea vers une pile de papiers au sein de laquelle il trifouilla, à la recherche visiblement de son formulaire. Posant temporairement son assiette non loin du plat du blond, elle profita de ce bref moment pour jeter un coup d’œil au reste de la pièce. Non loin, une échelle semblait monter vers les étages de la tour. Contre les murs, quelques étagères où étaient rangés des livres divers dont elle ne pouvait lire les sujets, de là où elle se trouvait. Dans un coin, l’armure du commandant était entassée.
Le froissement de quelques feuilles de papier tira Lynne de son observation. Le précieux formulaire en main, Cullen débarrassa la pile de travail qu’il avait laissé sur sa chaise avant de la placer près d’elle, en face de son bureau.

« Tiens assieds-toi seulement là. »

« Ah – vous ne devriez pas vous embêter pour moi … Mais merci. »

La replaçant à sa convenance, la mage s’y assis finalement. Bientôt, il lui tendit une planche de bois en plus du formulaire, qu’elle prit en le remerciant. Quelques secondes plus tard, après avoir dépouillé rapidement le bureau de son manteau, il parvint à lui dégoter de l’encre et une plume des plus banale.

« C’est rien d’extraordinaire, mais c’est pour justifier ta présence à certains endroits dans le fort. » lui expliqua t’il tout en lui remettant les derniers outils dont elle avait besoin.

« Très bien, pas de soucis. »

Elle jeta finalement un rapide coup d’œil au formulaire. Il s’agissait d’un assortiment d’informations simples, de son nom de famille jusqu’à sa fonction en passant par toute une bribe de renseignements divers. S’emparant de la plume entre ses doigts, elle trempa délicatement l’embout dans l’encre noire avant de s’atteler à sa tâche dans le calme et la concentration, prenant garde à soigner son écriture autant qu’à l’accoutumée.  

Ainsi continua t’elle jusqu’à ce qu’il fût nécessaire de mentionner la fonction qu’elle allait occuper au sein de l’Inquisition. La dénomination était facile, évidente. Mais elle se rendit soudainement compte de la réalité qu’elle refléterait, dans le concret.

« Je me pose une question … »

Elle chercha ses mots un bref instant tandis qu’elle levait sa plume du papier, veillant à ce qu’aucune goutte d’encre ne vienne entâcher son travail.

« J’ai toujours exercé dans des dispensaires pour l’instant, jamais dans une organisation comme la votre. Et je me demandais quelles seraient les attentes envers une mage de soin. » commença t’elle, avant de s’expliquer davantage. « Autrement dit … vais-je devoir rester en arrière, au camps ? Ou serais-je amenée à accompagner des soldats dans des situations plus dangereuses? »

L’Inquisition ne combattait pas des fantômes. La menace était réelle, palpable. Les Templiers Rouges ne connaissaient pas la pitié, tout comme ce fameux magister qui était à leur tête. Lynne savait parfaitement dans quoi elle s’engageait, et cela n’entachait en rien sa détermination. Même si Edwin venait à se réveiller un jour, elle ne pouvait lui offrir un monde détruit par les lubies d’un homme fou.

Elle regarda Cullen avec un mélange de sérieux et de lucidité.

« Comprenez que je ne me fais pas d’illusions sur ce que nous allons devoir affronter et que je l'assume pleinement. Je me demande simplement si je serai à la hauteur si on me demandait de m'impliquer dans des situations plus dangereuses. »